La Cour des comptes voit rouge sur la gestion des énergies vertes | KILUVU | Scoop.it
La juridiction estime que pour atteindre les objectifs, les aides aux énergies renouvelables doivent être mieux utilisées et les contraintes juridiques réduites.

 

En matière d'énergies renouvelables, la France sait en théorie où elle va : en 2020, 23 % de la production totale d'énergie devra être issue du photovoltaïque solaire, des éoliennes terrestres et maritimes, de l'hydraulique ou encore de la biomasse. Mais, au-delà de l'objectif, le chemin pour l'atteindre laisse la Cour des comptes perplexe. Dans un rapport publié jeudi, elle s'est penchée sur les progrès réalisés par la France entre 2005 et 2011.

Certes, la part des énergies renouvelables est passée de 10,3 % à 13,1 % dans le mix énergétique du pays en six ans. Mais c'est un chiffre en deçà de l'objectif fixé pour 2011 à 13,5 %. "Le prolongement de cette tendance rend donc les objectifs globaux à 2020 difficiles à atteindre", relève la juridiction. Le montant total des aides et des taxes en faveur des énergies renouvelables s'est élevé à 14,3 milliards d'euros sur cette période.

Or, il faudra multiplier par "six ou par sept" les efforts de développement des énergies renouvelables entre 2012 et 2020 pour tenir les engagements français par rapport à ce qui a été fait en six ans. Ce qui devrait considérablement alourdir la facture, même si la Cour se garde bien d'effectuer un pronostic devant de "trop nombreuses incertitudes".

Rendre les énergies vertes "plus compétitives"

Cependant, le président de la juridiction, Didier Migaud, pointe les dispositifs de soutien existants, qualifiés de "complexes, instables, et à l'efficacité variable", et recommande de les revoir. Par exemple, la contribution au service public de l'électricité (CSPE), que le consommateur paye sur sa facture d'électricité. C'est un des premiers dispositifs en faveur de la transition énergétique. Elle a rapporté 3 milliards d'euros en 2013. Son montant cumulé d'ici 2020 sera de 40,5 milliards d'euros.

Il serait légitime que son assiette soit élargie à tous ceux qui consomment de l'énergie - fioul, bois, gaz, etc. -, et pas seulement de l'électricité, juge la Cour. De plus, son utilisation serait mal répartie : elle bénéficierait beaucoup trop au photovoltaïque. "La filière a capté 62 % de la CSPE, alors qu'elle ne représente que 2,7 % des énergies électriques renouvelables", explique Didier Migaud. Il faudrait donc selon lui la redéployer vers des filières qui ont fait la preuve de leur rentabilité : quand le coût horaire d'un mégawatt solaire s'établit de 198 à 698 euros, il varie de 62 à 102 euros pour l'éolien terrestre. Avec un coût de 43 à 188 euros, l'hydroélectricité se montre la plus rentable des renouvelables.

Ces sommes sont à comparer à l'électricité d'origine nucléaire, dont le mégawatt horaire se situe actuellement à environ 50 euros. Grâce à elle, nous bénéficions "d'une énergie moins carbonée et d'une électricité moins chère que nos voisins", se pique de rappeler la juridiction. Mais à combien s'élèvera ce coût demain, alors que le projet d'EPR accumule les retards et les milliards imprévus ? De 70 à 90 euros comme le prédit EDF ? La Cour n'a pas la réponse et renvoie vers les chiffres de l'électricien.

Où sont les emplois verts ?

Outre la réaffectation de la CSPE, la Cour des comptes souhaite que soient levés certains obstacles juridiques : il faut plus de sept ans en France pour rattacher un réseau éolien au réseau électrique, contre deux fois moins de temps en Allemagne. Car ce ne sont pas les travaux qui prennent le plus de temps - environ 18 mois -, mais bien les différentes procédures administratives, très lourdes, qui freinent le processus.

Quant au "fonds chaleur", instauré lors du Grenelle de l'environnement, il a vraiment dopé l'utilisation de la biomasse. Mais il reste sous-doté par rapport aux objectifs initiaux (240 millions d'euros contre 500 millions prévus). Enfin, le gendarme des finances publiques s'étonne que l'eldorado des emplois verts ne soit guère à la hauteur des prédictions passées : elle en dénombre 83 260 en 2012, 15 000 de moins qu'en... 2010.

Ces conclusions peuvent être interprétées de deux façons, qui recoupent les deux camps qui se sont opposés lors du débat national sur la transition énergétique. Soit on doit y voir le signe qu'il faut accélérer la cadence, pour arriver à plus d'économies d'échelle, comme le veulent les ONG et les écologistes. Soit l'atome doit rester la principale source électrique du pays, les autres types d'énergie restant d'utiles mais mineures sources d'appoint, comme l'ont défendu la majorité des industriels et du patronat, ainsi que certains syndicats.

Un conflit que seul le politique est à même de trancher, juge Didier Migaud, lui-même ancien député socialiste.


Via Jacques Le Bris, Yves Carmeille "Libre passeur"