BERLIN - Tiraillée entre préoccupations écologistes et intérêts économiques, l'Allemagne avance sur la pointe des pieds sur le sujet de la fracturation hydraulique, méthode d'extraction controversée qui pourrait lui permettre d'exploiter ses ressources en gaz de schiste.
Fin février, Berlin a présenté un projet de loi qui interdit le «fracking», de son nom anglais, dans les zones d'eaux protégées et de sources minérales. Par défaut le procédé sera autorisé ailleurs --sous réserve des autorisations nécessaires au cas par cas.
L'approche choisie, ni oui ni non, est le reflet de divisions au sein du gouvernement conservateur-libéral, et de sa crainte de s'aliéner une opinion publique sceptique à quelques mois des législatives.
«Dans les régions concernées, la majorité de la population est contre cette possibilité», explique à l'AFP le député écologiste Hans-Josef Fell. Son parti aussi est contre, et aura son mot à dire au plus tard au passage de la loi devant la chambre haute, le Bundesrat, où le gouvernement n'a pas la majorité. Idéalement, Berlin voudrait légiférer avant septembre.
Un site internet (www.gegen-gasbohren.de) existe déjà pour coordonner les divers mouvements de protestation au sein de la société civile alors que pour le moment la technique n'a jamais été mise en oeuvre en Allemagne.
En France, une contestation similaire avait contribué à faire du pays le premier à interdire la fracturation hydraulique, à l'été 2011.
Très en vogue aux Etats-Unis, elle constitue à ce jour la seule méthode efficace pour extraire le gaz de schiste enfoui dans les nappes phréatiques à plus de 1.000 mètres de profondeur.
Le sous-sol allemand abriterait jusqu'à 2.300 milliards mètres cube de gaz de schiste. L'Allemagne consomme 86 milliards de m3 de gaz naturel par an, dont elle importe l'essentiel.
Berlin estime que cette énergie pourrait «contribuer à la sécurité d'approvisionnement et à la stabilité des prix (énergétiques)» alors que le pays veut, à l'horizon 2022, se passer complètement du nucléaire. Et apprécierait de réduire sa dépendance aux importations en provenance de Russie et de Norvège.
Les milieux économiques allemands y voient une perspective prometteuse de réduire la facture énergétique. «Avec la révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis, les coûts en énergie ont énormément baissé, les entreprises américaines sont beaucoup plus compétitives que les nôtres», plaide Matthias Wachter, spécialiste des matières premières à la fédération de l'industrie allemande (BDI).
Wintershall, filiale de BASF et acteur majeur du gaz en Allemagne, fourbit déjà ses armes. «Même si on ne sait toujours pas si l'extraction de gaz de schiste est vraiment réalisable aussi bien sur le plan écologique qu'économique, nous expliquons les choses sur place, aux politiques, aux citoyens, aux médias...», dit Stefan Leunig, son porte-parole. Mais «la société allemande réagit de manière très émotionnelle», déplore-t-il.
En marge de ce lobbying, les scientifiques tentent de mesurer l'impact environnemental de la fracturation hydraulique.
L'Office fédéral des sciences de la terre et des matières premières (BGR), une administration du ministère de l'Economie, considère qu'elle ne nuira pas à l'environnement, tandis que l'agence fédérale UBA, rattachée au ministère de l'Environnement, pronostique l'inverse.
Le ministre de l'Economie Philipp Rösler vante lui ses avantages tandis que celui de l'Environnement Peter Altmaier a émis de fortes réserves.
«Les gisements supposés de gaz de schiste se trouvent sous des paysages densément peuplés et il n'est pas envisageable de les exploiter tant que les accusations et les questions soulevées n'auront pas été écartées», juge ce dernier.
Les réserves allemandes se situent essentiellement en Rhénanie du Nord-Westphalie (ouest), région la plus peuplée du pays, et en Basse-Saxe (nord).
© 2013 AFP